La Libye : aperçu géographique
2Quand on aborde la Libye, en cherchant à en découvrir l’identité, comment ne pas se référer au Maghreb, voisin et généralement mieux connu, au moins des Français ?
3C’est bien sûr le même type de pays, c’est-à-dire composé d’une façade méditerranéenne où des précipitations non négligeables, quoique diversement réparties, ne découragent pas l’exploitation du sol par l’agriculture, par l’arboriculture et par un pastoralisme basé sur la transhumance, et d’un immense pays désertique, soit rocheux, soit sableux, où la vie se réduit (ou se réduisait naguère) à l’exploitation ponctuelle des oasis et à la migration des nomades.
4On pourrait même dire : même histoire ou même type d’histoire, et ceci est très important en matière de géographie humaine [22]. Une population ancienne, qui n’est point sans rapport avec l’occupation néolithique : ici les Garamantes, au Maghreb les Berbères, mais qui n’ont pu subsister, sous forme de groupes ethniques caractérisés ou simplement linguistiques, que dans des zones relictuelles, en certaines montagnes ou dans le désert. Même occupation d’abord punique (ou grecque en Cyrénaïque, où l’on participe à un univers culturel différent) puis romaine (avec prédilection pour les villes), puis arabe, accomplie en deux temps : le premier pendant lequel l’envahisseur s’est acquis l’administration du pays, au viie siècle dans la lancée d’un Sidi ‘Ouqba, le deuxième cinq siècles plus tard marqué par le passage et l’installation, si l’on peut dire, des nomades Hilaliens. Même incertitude et même va-et-vient, dans les siècles qui suivent, avec les assauts des Normands, des Vénitiens, des Espagnols, éphémères succès toujours suivis de reconquêtes. Mêmes tentatives d’autonomie sous administration turque : avec ici la fondation d’un véritable État, sous les Karamanlis, un siècle durant, ayant eu au moins comme conséquence durable le rattachement de la Cyrénaïque à la Tripolitaine. Enfin la colonisation : là espagnole et française, ici italienne, et plus tardive (après 1913), finalement les unes et les autres éphémères mais laissant dans le pays des traces profondes, soit en matière d’aménagement du territoire, soit par réaction, en matière d’unification politique et de construction d’États modernes.
5Et pourtant, la Libye se distingue du Maghreb par un certain nombre d’autres traits, notamment physiques, dont les conséquences sur l’organisation de la vie sont considérables. L’essentiel, curieusement, est d’ordre géologique : il tient dans la structure et dans sa transcription dans le relief, à savoir dans la manière dont est assumé le contact entre la plateforme saharienne et la région méditerranéenne. L’énorme avantage du Maghreb consiste dans le rattachement à la plate-forme saharienne progressivement déprimée vers le nord, de l’ensemble considérable de plissements dits atlasiques et telliens ; ainsi se trouve projeté vers la mer un pays varié, au relief contrasté, qui sur 300 à 400 km de largeur et parfois plus, offre des conditions relativement favorables à la vie humaine, pastorale et même paysanne. Ceci est d’autant plus sensible que la montagne forme écran aux influences océaniques portées par les vents du nord-ouest et que, avec non moins de contrastes que pour le relief, les précipitations peuvent être importantes, à l’inverse de ce qu’elles sont dans l’arrière-pays steppique et désertique : plus de 400 mm, et parfois même plus d’un mètre, il est vrai toujours avec des variations imprévisibles et avec la répartition saisonnière propre aux pays méditerranéens.
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6Rien de cela en Libye. La plate-forme saharienne pénètre directement dans la zone méditerranéenne, à ceci près qu’elle y est recouverte par d’épaisses formations sédimentaires crétacées en Tripolitaine et tertiaires en Cyrénaïque, mais toujours calcaires et qu’elle s’y brise. L’inclinaison de ces formations, leur jeu dans les parties faillées, parfois soulignées par un volcanisme ancien, donnent un relief qui ne ressemble en rien à celui de la zone atlasique ou du Tell. Il faut aller en Tunisie, au sud de Gabès-Matmata, pour en voir les premiers aspects, des couches calcaires soulevées forment une même couronne autour d’un dôme structural, topographiquement surbaissé, qui se situe dans la plaine de la Jeffara, elle aussi commune entre Tunisie et Tripolitaine. Et de même, la Cyrénaïque se termine-t-elle sur la mer par un haut rebord faillé s’abaissant en deux beaux gradins en direction du nord. Par contre, la côte du golfe des Syrtes ne présente pas d’accidents aussi notables ; la plate-forme saharienne y descend à la côte par des pentes douces plus ou moins masquées par des bancs de dunes. Il en va de même, pour l’essentiel, pour la partie orientale de la côte de Cyrénaïque.
7A l’intérieur, la plate-forme saharienne donne un relief monotone, parfois coupé de quelques talus continus, notamment dans le Fezzan. Les plates-formes rocheuses (Hammada) y alternent avec le désert sableux, l’erg ici dénommé Idehan, ou avec les plaques caillouteuses du reg, les Sarîr. Le désert libyen se termine au Sud aux limites du Tibesti et de l’Ennedi, le socle archéen y affleure, perçant la couverture primaire, quand il n’est pas lui-même recouvert par d’énormes épanchements volcaniques. Il en va de même, au volcanisme près, à la frontière égyptienne, à l’Est et au sud-est de Koufra.
8On devine quelles peuvent être les conséquences climatiques d’une telle situation. Outre que, du fait de l’échancrure du golfe des Syrtes, la côte libyenne ne dépasse guère 30″ de latitude alors que Tanger et Bizerte sont respectivement à 36″ et 37″5 (Tripoli se trouve à peu près à la même latitude que Ghardaïa en Algérie), l’absence d’écran fait que la pluviométrie reste partout très faible : les seules zones qui atteignent ou dépassent les 300 mm de précipitations annuelles sont la partie centrale de la côte tripolitaine, aux environs immédiats et à l’est de Tripoli, et le talus correspondant, la plaine de Barce et le djebel Akhdar en Cyrénaïque. Il faut cependant tenir compte dans la région côtière, notamment en Tripolitaine, du degré élevé de l’hygrométrie et donc des condensations que provoquent les différences de température si bien qu’il arrive souvent qu’un horizon humide se retrouve à faible profondeur, même dans le sable. Partout ailleurs, le climat est steppique ou désertique. Cette situation est aggravée par les températures partout fortes quand l’altitude ne les corrige pas et qui peuvent occasionnellement et brusquement monter jusqu’à près de 50″ C quand s’établit, notamment au printemps et en automne, le vent du sud, le « Ghibli », analogue au Khamsin égyptien, à l’approche de dépressions situées dans le golfe des Syrtes.
9Dans ces conditions, on se demande comment peut vivre une population, qui pourtant n’atteint pas 2 millions d’habitants, dans cet immense pays, dont il n’y a guère plus de 10 % de la surface qui soit utilisable, pour la culture sédentaire. La Tripolitaine, de toutes les régions la plus favorisée, n’a pas plus de 10 millions d’hectares de terres productives dont 8 au moins sont en pâturages ; et sur les 4 millions de terres productives que compte la Cyrénaïque, plus de 3,6 millions sont également en pâturages.
· † Voir l’article de MM. Albergoni et Vignet-Zunz.
10Si pourtant l’homme est ici solidement implanté, cela est dû à ce qu’il possède de précieuses facultés d’adaptation, dont la principale est le nomadisme pastoral. Il en sera parlé par ailleurs†. Sans doute déjà très répandu parmi les Berbères Zénètes, ce genre de vie a été confirmé et étendu à de nouvelles zones (dont certaines auraient pu être le lieu d’implantations sédentaires, en raison d’une meilleure pluviométrie : le Djebel Tarhoûna, par exemple) du fait de l’invasion Hilalienne. Couvrant de ses transhumances caractéristiques la plaine côtière occidentale, la Jeffara, le genre de vie nomade est ou a été dominant sur la presque totalité de la Cyrénaïque, même dans sa partie la mieux arrosée. Enfin il recouvre toutes les parties utilisables du désert intérieur, oasis exceptées.
11Pourtant, on doit noter que ce pays sec n’est pas sans ressources hydrauliques et que, donc, il est des lieux marqués pour qu’une certaine vie paysanne ait pu s’y développer. Cette question a été étudiée par R.W. Hill [48] à propos de la Jeffara : outre la nappe phréatique, assez superficielle à la frontière tunisienne, plus profonde à l’est et au sud, et qui parfois affleure en sources, une deuxième nappe peut être atteinte à une vingtaine de mètres de profondeur ; enfin des nappes artésiennes, fossiles, existent dans le Miocène. Cela ne veut pas dire que ces nappes soient inépuisables, en cas de pompages excessifs, ni que l’eau en soit toujours excellente : quand elle présente un certain degré de salure comme c’est le cas à Misourâta, elle ne peut être utilisée qu’avec beaucoup de précautions pour l’irrigation. Quant à la Cyrénaïque, si elle est aussi dépourvue d’oueds pérennes que le reste du pays, et si sa pauvreté en ressources hydrauliques a constitué l’une des pierres d’achoppement de la colonisation « démographique » italienne, elle présente pourtant une certaine circulation souterraine de caractère karstique, à vrai dire difficilement utilisable. Enfin, il faut tenir compte des sources, parfois artésiennes, qui donnent naissance aux oasis sahariennes, et des nappes superficielles, facilement atteintes grâce aux techniques traditionnelles de forage des puits. C’est ainsi que s’alimentent en eau les oasis du Fezzan, situées dans deux grande dépressions longitudinales : Chatti-Sabha et Awbari-Marzoûq. Il en va de même pour les oasis de la frontière tuniso-libyenne : Ghadâmès et Ghât. Dans le centre et le sud de la Cyrénaïque c’est-à-dire dans sa partie désertique, les ressources hydrauliques ne sont pas non plus négligeables : des réserves d’eau douce existent au sud de la mer de sable de Calanchio. Surtout, l’épaisse couche des sables et grès de Nubie, qui surmontent les grès paléozoïques du bassin de Koufra, recèle une eau fossile de bonne qualité, abondante, encore que de circulation lente et sans réalimentation superficielle [53].
12Tout cela n’est pas rien, mais reste malgré tout limité comme sont limitées les activités agricoles, arboricoles et pastorales, même si l’on tient compte de l’efficacité relative des techniques traditionnelles de forage et de partage des eaux, ou comme c’est le cas au djebel Nefousa, de l’aménagement minutieux des surfaces, coupées de diguettes multiples, avec, ici ou là, réservoirs ou citernes.
13Ce n’est que sur des zones fort étroites, réparties pour l’essentiel sur la côte, que se situent les activités agricoles, encore faut-il excepter la façade saharienne sur le golfe des Syrtes et même la plaine côtière de Cyrénaïque qui va en se rétrécissant de Benghazi à Toukra sur moins de 100 km et qui est tout juste bonne, au milieu de ses sables et de ses marais salés, à fournir les maigres ressources de son maquis pour le pâturage de quelques troupeaux.
14Les choses ne seraient pas ce qu’elles sont, et la Libye ne serait pas la Libye que nous connaissons, s’il n’y avait, en outre, les villes, d’origines diverses et parfois fort anciennes. Leur naissance et leur croissance obéissent à des processus différents et parfois cumulés. La colonisation antique d’abord qui, reposant sur l’exploitation de la frange utilisable (et sans doute mieux utilisée qu’aujourd’hui, en matière de céréaliculture et d’arboriculture) a parfois fait bénéficier ses établissements urbains d’investissements somptuaires et qui peuvent faire illusion. Ces « colonies » formaient, on l’a vu, deux aires bien distinctes : l’aire phénicienne, comptoirs dépendant de Carthage à la belle époque — et où l’on continue à trouver des inscriptions puniques jusque dans les ruines romaines des iie et iiie siècles : Sabratha, Oea (à l’emplacement de Tripoli) et Leptis Magna, distinguée et promue par l’empereur Septime Sévère, Africain d’origine. Et puis, au-delà de la côte des Syrtes, sur un haut rebord dominant de loin la mer, Cyrène, où se manifeste l’influence grecque : un tout autre monde ! L’indication est intéressante, car le clivage est net, et l’aurait été durablement sans doute s’il n’avait été atténué par l’arabisation et par la bédouinisation partielle de deux régions.
15Bédouinisation, très poussée en effet, notamment à partir de l’invasion hilalienne du xie siècle, mais qui n’a pas supprimé toute vie urbaine. Il fallait bien qu’il subsistât des points d’appui pour certains échanges commerciaux entre les nomades et ce qui pouvait rester de population sédentaire : c’est le rôle que joua longtemps Benghazi, dont les premières maisons en dur sont celles de commerçants maltais, attirés par ce type d’activité.
16Et puis très rapidement, des relations sur de plus grandes distances devaient s’établir, sur certains sites historiquement sélectionnés, dont le plus important est celui de Tripoli, à l’emplacement de l’antique Oea. Relations à grande amplitude, que le trafic caravanier, transsaharien, perçant sur la côte pour y déposer les produits de l’intérieur de l’Afrique, dont la poudre d’or et les esclaves ; mais aussi la course, basée sur le port de Tripoli, comme elle l’était sur Alger ou Tunis, et qui n’était pas seulement une aventure un peu scandaleuse, mais instituait une « communication », un type de rapport économique, susceptible d’alimenter pendant des siècles les activités d’une ville déjà importante.
· ‡ Estimation. Un recensement a été fait en 1973, mais les résultats ne sont pas encore connus.
17Ainsi un chapelet d’établissements urbains s’égrène-t-il sur la côte, dont le premier est évidemment Tripoli, ville la plus complète, agglomérée autour de son vieux quartier historique et de son château-fort, mais dont la colonisation italienne, comme l’avait fait la colonisation française pour les villes du Maghreb, avait fait une ville moderne, avec son quartier administratif et surtout ses quartiers résidentiels très étendus, situés surtout à l’ouest de la ville (Giorgimpopoli) et qu’elle avait doté d’un port de bonne qualité, là aussi à l’instar de ce que les Français avaient fait à Alger et pour les mêmes raisons. La ville a maintenant officiellement 380 000 habitants‡, sûrement plus : nul doute qu’elle ne cesse de grandir, étant l’organisme unitaire le plus complet, bénéficiant comme capitale du fonctionnement d’un État moderne centralisé. Toutefois ce n’est pas elle qui bénéficie de l’exportation du pétrole du fait de la position des puits qui avantage plutôt Benghazi.
18Sympathiques, mais pas bien vivantes, Khoms et plus loin Misourâta ; ces villes ont été fortement marquées par la colonisation italienne qui avait installé non loin de là quelques-uns de ses plus grands domaines.
19L’industrialisation, notamment à Misourâta, choisie comme siège d’un très important complexe sidérurgique, pourrait être l’occasion de rapides mutations. Et puis, pratiquement plus de ville (même pas à Marsa Brega, qui est le grand port pétrolier) jusqu’à Benghazi [177]. La capitale de la Cyrénaïque est restée longtemps un bien piètre établissement occupant un vieux site hellénistique, mais un site incommode : la ville est coincée entre des lagunes salées (sabkha) et la mer. Les Italiens en avaient fait la base de leur éphémère tentative de colonisation de la Cyrénaïque et l’avaient dotée d’un quartier officiel, d’un port et d’une cathédrale toute de marbre. Elle a bien failli sombrer après cet épisode. Et pourtant elle a maintenant le vent en poupe. Elle élargit son site en gagnant sur les sabkhas, en installant des corniches et rocades et surtout en agglomérant une population qui s’élève maintenant à 320 000 habitants, avec un taux de croissance très rapide*.
20Peu de choses à dire des petites villes incrustées sur la côte de Cyrénaïque :Darna pourtant assez vivante avec son abri côtier, son quartier commerçant et son oasis, est un pôle d’attraction à croissance rapide ; Tobrouk, sur sa crique, qui draine les rares produits de son arrière-pays pastoral, la Marmarique, et sert modestement de centre à la Cyrénaïque orientale… en attendant qu’elle profite des installations prévues au débouché du pipe-line de Sarîr. Dès maintenant, l’augmentation de sa population, qui n’atteignait pas 5 000 habitants en 1954, est très rapide ; elle avait déjà triplé entre 1954 et 1964.
21A l’intérieur, le centre rural italien de Barce (Al Mari), très endommagé par un tremblement de terre qui a bouleversé la région, abrite encore une population appréciable, mais surtout une ville nouvelle a été créée à 6 ou 7 km de l’ancienne, Al Marj al Jadîd, avec un programme trop ambitieux semble-t-il, puisqu’une bonne partie des logements construits, déjà sous l’ancien régime, sont inhabités.
22Quant à Bayda qui, elle, doit au fait d’être le siège de la puissante zâwiya des Sanoûsî d’avoir été choisie comme capitale fédérale par le roi Idris, elle a cessé de jouer le rôle attractif — modeste — que lui donnaient ses fonctions administratives et politiques.
23Au total, c’est la population urbaine qui donne à la Libye sa note distinctive et assure principalement sa vitalité. Avant même l’accélération donnée par les nouvelles conditions de la vie économique, la population urbaine progressait beaucoup plus vite que la population totale : 68 % de 1954 à 1964, contre 43 % pour la Libye tout entière.
24Pourtant ce n’est pas en termes globaux qu’il faut concevoir la géographie de ce pays, étonnamment contrasté ! On ne s’étonnera pas de cette diversité régionale, si l’on pense que la Libye est écartelée, si l’on peut dire, sur des distances énormes : environ 1 760 000 km-, s’étendent d’est en ouest sur 1 500 km et sur plus de 1 000 km de la côte des Syrtes au Tibesti : c’est-à-dire un peu moins que l’Algérie, mais beaucoup plus que le Maroc, la Tunisie ou l’Égypte.
25C’est évidemment la Tripolitaine qui est la partie la plus vivante du pays, celle autour de laquelle s’est constituée l’unité dès le temps des Karamanlis, même si, à une période récente, et provisoirement, le centre politique s’est transporté vers l’est, avec une nouvelle capitale, Bayda, fichée sur le plateau de Cyrénaïque, ceci de par la fidélité du roi Idris au lieu saint des Sanoûsî ; après la seconde guerre mondiale en effet et jusqu’en avril 1963, la vie du pays a paru devoir s’établir sur le mode fédéral, la Tripolitaine n’étant qu’une province parmi les autres : Cyrénaïque et Fezzan.
26La Tripolitaine, c’est le pays le plus varié — mais non pas au point où l’est la partie septentrionale du Maghreb. La hammada qui vers le sud, fait la jonction avec l’arrière-pays désertique, s’élève doucement vers le nord, jusqu’au point où elle est brusquement interrompue par un talus incurvé : celui-ci fortement mordu par de profonds ravins, prend son origine en territoire tunisien, au sud de Gabès et de Matmata, avant de pénétrer en Tripolitaine où il forme le djebel Nefousa, objet de la belle étude de J. Despois [51] ; il se poursuit sous des noms et d’ailleurs sous des aspects divers, liés à sa plus ou moins grande dissection : Ghariân, Tarhoûna, Msellata ; il se rapproche enfin de la côte, qu’il rejoint aux environs de Khoms. En Tunisie, ce djebel, c’est déjà une sévère steppe, heureusement aménagée par une population experte à capter les eaux de ruissellement et à retenir les sols. On a déjà l’impression d’être très loin dans le sud, et l’on s’étonne, une fois franchie la frontière, de voir le paysage s’humaniser progressivement, s’étoffer d’une végétation plus vigoureuse, où l’olivier « indigène » (et parfois de très vieux oliviers dits pharaoniques) remplace le palmier dattier. Des champs d’orge, entièrement complantés, occupent une grande partie de la surface, entre des passages rocheux. La présence du romarin et de quelques autres plantes méditerranéennes est indicative d’une transition entre le paysage de la steppe désertique et une nature qu’on s’étonne de trouver relativement clémente à cette latitude saharienne. C’est que les précipitations s’accroissent d’ouest en est le long de la crête, avec des maximas sur les points culminants par exemple entre Ghariân et Yafran, où l’hiver, la neige même n’est pas inconnue. C’est un lieu de villages, parfois partiellement troglodytiques, comme Yafran, qui domine la plaine de belle manière. On y parle encore en bonne partie berbère et l’on est ibadite, les populations berbères vivant au demeurant en symbiose avec les djebali arabophones ou sounnites.
27Naturellement, la colonisation a laissé quelques traces mais en des sites bien déterminés, notamment à Ghariân, où elle avait été installée sous la protection d’un camp militaire et surtout dans le djebel Tarhoûna et dans la plaine de Ksar : le djebel Tarhoûna, pour des raisons non imputables à la nature avait été le domaine d’un semi-nomadisme pastoral, intégré à celui de la plaine, alors que les djebels voisins, Msellata ou Ghariân pas tellement différents, étaient traditionnellement le domaine de l’oléiculture : il donnait ainsi plus facilement prise à l’implantation coloniale [48].
28Ce qui s’étend au pied du talus est tout à fait différent : c’est la plaine, la Jeffara, elle aussi continuation de la plaine qui prend origine en Tunisie. Elle aussi recevant progressivement des précipitations plus importantes (à l’exception du pied même du talus) au fur et à mesure que l’on s’avance vers l’est où la région de Tripoli reçoit plus de 300 mm. C’est une large plaine, d’environ 150 km de longueur, parfois sur 100 km de largeur, jusqu’au point où elle se trouve coincée par le rapprochement de la montagne, aux environs de Khoms. Les sols y sont fragiles, souvent encroûtés et parfois salés, notamment le long de la côte, aux environs de Zouwâra, où ils forment des sabkhas ; il y a peu d’alluvions. Aussi bien, l’usage est-il avant tout pastoral, sur des parcours réduits qui s’annexent le djebel, toujours à petite distance : c’est là que transhument les Saian, qui ont fait l’objet d’une bonne étude de J.I. Clarke [48].
29Le contraste est grand avec l’étroite bande côtière, jardin ou verger, oasis continue, où alternent palmeraies traditionnelles et plantations d’oliviers héritées de la colonisation [40]. On y trouve encore d’anciens centres de colonisation, avec école, marché, services publics, maintenant peuplés de Libyens, comme Giudayem ; mais rien de tel au-delà de Sabratha : les villages de Zawîya ou de Zouwâra, dans la zone plus sèche, sont purement libyens. Vers l’est, au-delà de Tripoli, le paysage est assez différent. Le sable se fait plus abondant autour des palmeraies. C’est là sur plus de 20 000 ha, en un lieu où l’eau était abondante et permettait une irrigation importante que s’étendait le domaine de Valdogno, propriété d’un grand capitaliste toscan, le comte Marzotto : 2 500 oliviers en faisaient la richesse, mais aussi la vigne et surtout le tabac, cultivé pour le monopole et sans limitation de surface. Les métayers, italiens, installés sur les lots (podere) avaient été remplacés par de la main-d’œuvre locale dès avant la nationalisation d’une affaire, au total, de faible rentabilité. Plus loin, ce grand domaine avait son homologue à Misourâta, dans la propriété que s’était attribuée le comte Volpi dès le moment de la « pacification ». Mais de part et d’autre du bourg de Zlitan, entre Khoms et Misourâta, c’est la palmeraie traditionnelle que l’on retrouve, sur 20 km avec un habitat dispersé dans des jardins bien arrosés et répartis en très petites propriétés.
30La Cyrénaïque est bien différente. La plaine côtière y est de peu d’importance, soit que, entre Benghazi et Toukra elle soit encombrée de dunes et de marais, ou encore de lapiaz calcaires où s’agrippent des touffes de lentisques, soit que, très étroite, entre Apollonia et Darna, elle soit empaquetée de croûtes formées sur les conglomérats qui recouvrent le substrat calcaire. Les oueds y ont accumulé des masses énormes de matériaux roulés, emballés dans une matrice rouge. La végétation est formée de divers épineux. L’homme est pratiquement absent.
31La partie qui pourrait être vivante est le plateau qui, en deux paliers qui font la grandeur du site de Cyrène, domine de loin la mer et redescend en pente douce vers l’intérieur. Mais le paysage est souvent très nu, battu par le vent qui déforme et mutile les arbres d’un maquis répandu sur la plus grande partie de la surface du djebel septentrional cependant qu’apparaissent déjà les traits d’une végétation steppique où les épineux tiennent une place importante. Il faut quitter les hauteurs, en accédant à la plaine de Barce (Al Marj), pour trouver de meilleures conditions : un maquis méditerranéen, relativement riche, brousse à oléo-lentisque classique, avec cyste et arbousiers, est implanté sur des sols rouges, alternant avec la végétation rase de véritables causses. Parfois, comme à Taynès, l’horizon apparaît comme barré par une véritable forêt de genévriers, de pins et de cyprès, avec faux airs de cèdres. Leur importance est encore plus grande au fond étroit de quelques oueds, comme le Wadi el Kuff que l’on traverse, depuis 1971, par un très spectaculaire pont suspendu, avant d’accéder à Messa.
32L’homme, dans tout cela ? Mis à part les villes, l’éphémère colonisation italienne ne présente plus que ses tristes vestiges : fermes dégradées ou détruites, par le temps et par le tremblement de terre, centres de service abandonnés. Pourtant à Barce, la plaine, vaste dépression fermée et qui fut un fond humide comme l’indique le nom de Merj qui lui est appliqué, est entièrement défrichée, montrant une terre rouge et fine, en apparence fertile et où de fait la céréaliculture reste importante.
33Quant au plateau de Cyrénaïque, il est avant tout terre de pastoralisme ; l’épisode colonial, pendant lequel la population autochtone était refoulée ou parquée, a beaucoup moins marqué le pays qu’en Tripolitaine. La tente apparaît partout, parfois accolée à une ancienne ferme, et les troupeaux trouvent d’assez bons pâturages, notamment quand ils sont au djebel, broutant l’herbe d’un maquis très lâche, aisément pénétrable.
34La troisième région, c’est le désert. Il occupe la plus grande partie de la surface du pays.
35La Hammada pierreuse, Hammada el Hamrâ, forme tout l’arrière-pays tripolitain, avant de venir s’enfouir sous les dunes du Fezzan. Là, le désert est marqué par les grandes dépressions longitudinales, de direction est – nord-est et ouest – sud-ouest, où des nappes d’eau relativement superficielles ont permis la création d’oasis : Chatti, Sabha, Marzoûq, et près de la frontière tuniso-libyenne, Ghadâmès et Ghât [49]. Elles furent le lieu d’une vie rurale — ou semi-urbaine — fort importante ; elles jalonnaient par ailleurs des itinéraires transsahariens, débouchant sur la côte, mais ces itinéraires ne sont plus guère suivis, les échanges ayant changé de nature et les techniques traditionnelles de transport ayant pratiquement disparu. La recherche pétrolière, stimulant l’exode rural, a fait le reste : la population du Fezzan ne dépasse guère 60 000 habitants dont une partie seulement sont des cultivateurs.
36Sur le golfe des Syrtes, entre Misourâta et Benghazi, le désert accède directement à la côte, et de même, toujours en Cyrénaïque, à l’est de Bomba, où il présente dans l’aride Marmarique, un système assez monotone de cuestas, opposées au nord ; plus loin dans la région de Marsa Matrouh (Égypte), s’étend une côte basse, non attrayante. Là où la montagne s’interpose, au sud du djebel Akhdar, le désert est morcelé en bassins alluviaux, playas, comme disent les géographes. Et puis commence la nappe sableuse qui recouvre presque toute la moitié orientale du pays. Elle prend parfois l’allure d’un erg immense (calanchio) formé de dunes vives. Ce n’est qu’à Koufra, très loin dans le sud, que se manifeste l’artésianisme qui fait vivre l’oasis.
· § Voir aussi l’article de L. Talha et J.J. Régnier.
37Le paradoxe de la Libye, c’est que c’est le désert qui va lui procurer, qui lui procure des moyens de dominer pour partie ses difficultés naturelles. C’est en effet dans un vaste périmètre au sud du golfe des Syrtes, dans sa partie orientale, que sont exploités les importants gisements de pétrole qui, depuis une quinzaine d’années, ont complètement transformé l’économie du pays§. Et par voie de conséquence sa géographie. Non seulement celle de cette partie du désert, en effet pénétrée par les pétroliers et leurs installations, avec des débouchés faciles sur la côte à Es Sidar, Ras Lanouf, Marsa Brega, Zouwaytina (et même Tobrouk), mais encore celle du pays tout entier, grâce aux moyens mis soudain à la disposition de l’entreprise de développement.
38A vrai dire, ces conditions sont toutes nouvelles, et plusieurs des transformations qu’elles autorisent sont encore à l’état de projet. Toutefois le nombre des contrats signés et la hâte mise à les exécuter sont si grands que déjà s’ébauche un visage nouveau de la Libye qui recouvre et parfois efface celui qu’elle avait hier.
39Il a fallu, pour ce faire, l’installation d’un régime politique révolutionnaire, la nationalisation partielle des exploitations pétrolières, enfin l’établissement dès 1972 d’un premier plan triennal, prévoyant une refonte totale de l’économie du pays.
40L’évolution politique récente de la Libye est étudiée dans la deuxième partie de cet ouvrage. On retiendra qu’un des éléments du programme du nouveau régime est sa revendication d’une indépendance politique et militaire, mais aussi économique, la Libye s’efforçant désormais de parvenir à son autosuffisance.
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41La récupération de l’essentiel des revenus pétroliers est venue fort à point fournir, à l’appui de cette politique, des moyens très puissants : ceux-ci ne sont en rien comparables aux revenus que la Libye pouvait attendre du régime des concessions, sous lequel elle avait vécu depuis les premières découvertes pétrolières [126], même après le relèvement des prix postés à la suite des accords de Tripoli (1970-71). Quelques mois après qu’aient été signés ces accords, la nationalisation de la concession 65 détenue par B.P., puis la création de N.O.C. (National Oil Corporation) ouvraient la voie à une répartition toute nouvelle des revenus pétroliers, au bénéfice de l’État libyen.
42Ainsi, le premier plan de développement de la Libye pouvait-il recevoir d’emblée une énorme dotation d’environ 3,5 milliards de dinars libyens, ce qui donnait la possibilité de prévoir une transformation rapide et très profonde de l’économie du pays. Ce qui est original, c’est que la Libye, au contraire de ce que sont tentés de faire d’autres pays producteurs de pétrole, et aussi à la différence de ce qu’elle faisait elle-même pour l’ancien régime, n’entend par profiter de sa richesse nouvelle pour augmenter ses achats de biens de consommation.
43Le gouvernement agit en fonction de cette idée que la « vie » du pétrole est limitée. De là les deux traits majeurs de sa politique : investir aussi rapidement que possible, dans le pays, dans les secteurs productifs, agriculture, industrie, de manière à réaliser au plus tôt l’autosuffisance, et en même temps, ménager l’avenir en limitant la production du pétrole. C’est ainsi que la production pétrolière qui était de 166 millions de tonnes en 1970, est descendue à 130 millions en 1971 et à 117 en 1972, plaçant la Libye seulement au cinquième rang des puissances productrices, alors qu’elle occupait le troisième rang en 1969. Du coup, la balance commerciale s’est trouvée brusquement et très fortement déséquilibrée, du fait de la réduction des exploitations pétrolières, mais aussi, il faut le dire, du fait des importations massives de biens d’équipements : entre 1971 et 1973, la valeur des importations a plus que doublé, passant de 250 millions de dinars libyens à 339 (pour les huit premiers mois de 1973, cependant que les exportations passaient de 963 MDL en 1971 à 672, pour les huit premiers mois de 1973).
44Naturellement, les moyens financiers ne sont pas suffisants : il faut aussi des études et des hommes, des techniciens : aussi a-t-il été fait très largement appel à la coopération internationale, auprès de divers gouvernements, quelle que soit leur orientation politique, ce qui sans doute explique qu’une sourdine ait été mise aux proclamations idéologiques en 1974. C’est ainsi que l’Allemagne de l’ouest, la France, la Yougoslavie, l’Italie ont été sollicitées de préparer et de livrer, clefs en mains, dans des délais très courts, des projets parfois très importants.
2. L’agriculture – Les grands projets régionaux.
45Dans le domaine agricole, il faut noter que rien, ou presque, n’a été fait pour retarder le déclin de l’agriculture et de l’élevage traditionnel, ce qui entraîne la disparition progressive des genres de vie correspondants. Les céréales en sec, le troupeau transhumant n’ont pas cessé de diminuer d’importance, et même la production oléicole, dans la mesure où elle exige l’emploi d’une main-d’œuvre abondante, devenue trop coûteuse. Et, donc, l’exode rural, provenant des couches traditionnelles du monde rural, n’a pas cessé de venir grossir les villes et leurs faubourgs.
46Par contre le gouvernement n’a pas manqué d’encourager la rénovation de l’agriculture, notamment en instaurant une politique de prix élevés à la vente de certains produits : fruits, produits maraîchers, etc. Pour sa part, il a pris localement l’initiative d’une mise en valeur utilisant des moyens de haute technicité et de faible emploi, mais il a également encouragé le secteur privé, notamment par des prêts sans intérêts de la Banque agricole.
47Aussi bien le bilan est-il considérable, en si peu de temps. Si l’élevage traditionnel est en décadence, par contre une importation massive de vaches laitières permet de constituer un élevage moderne du reste fort coûteux ; de même il est prévu que soit reconstitué un troupeau d’ovins de 800 000 têtes. Enfin l’on mise, comme en beaucoup de pays orientaux, sur la production des poulets et des œufs, en poultry farms ultra-modernes.
48Mais ce sont surtout les programmes régionaux qui doivent retenir l’attention. Portant sur 553 000 hectares, ils se répartissent entre quatre régions.
49En Jeffara, les projets de mise en valeur reposent sur une meilleure utilisation de la nappe quaternaire, à 90 m, et éventuellement sur des prélèvements dans la nappe profonde. Un grand pas serait aussi fait dans la voie de l’auto-suffisance, en matière de céréales et de viande. En même temps, un bon nombre des anciennes fermes italiennes sont reprises, mais elles sont converties en exploitations fruitières et maraîchères, que l’élévation des prix à la vente et la proximité de Tripoli rendent facilement rentables.
50Par comparaison, la situation de la Cyrénaïque reste précaire, la prospection des eaux profondes n’ayant pas donné grand résultats. Aussi bien, le traitement adopté est-il différent : ici, c’est l’État qui a pris l’initiative en employant de gros moyens mécaniques. 8 600 hectares, jusque-là incultes, ont été défrichés et mis en céréales (avec le risque que comporte l’ouverture des sols dans un pays toujours menacé par l’érosion éolienne). En même temps, 2 000 exploitations nouvelles ont été installées, et plus de 20 000 arbres plantés. Très nettement, on voudrait réussir, là où la colonisation italienne avait échoué.
51C’est à Koufra que les initiatives les plus spectaculaires ont été prises. Une deuxième oasis, à l’ouest de l’ancienne, a été créée, en utilisant l’irrigation par aspersion à l’aide de bras tournants immenses qui couvrent jusqu’à 100 hectares ! Ainsi sur 12 000 hectares jusque-là voués au désert, s’ajoutant à 60 000 hectares de mise en valeur selon des procédés classiques, s’étendent les cultures.
52Là aussi, mais d’une autre manière, on a voulu sacrifier à la stratégie d’auto-suffisance, à n’importe quel prix. Toutefois les réalisations ont été trop rapides, et les études préalables insuffisantes. C’est ainsi que plusieurs pompes sont déjà hors d’eau, parce que les puits sont trop serrés et que la circulation souterraine est trop lente et compense insuffisamment l’abaissement du niveau de la nappe.
53Enfin un gros effort a également été fait au Fezzan. Il vise à faire des oasis le lieu d’une production excédentaire de fourrages ; ceux-ci sont achetés par le gouvernement et sont livrés à l’armée, qui gère un élevage dans la région de Syrte. En même temps, l’exode rural, catastrophique, des années dernières, est freiné, à la fois par la récession de la prospection pétrolière gourmande de main-d’œuvre, et par la politique de hauts salaires instaurés sur place par le gouvernement. La réalisation d’infrastructures modernes : routes, électrification, amorcée sous l’ancien régime, contribue à combler le retard de la qualité de la vie et à rompre l’isolement des oasis.
54Ce sont là beaucoup de choses entreprises à la fois : la hâte des autorités libyennes, l’imperfection des études préliminaires sont à l’origine de quelques mécomptes et nécessitent des reprises, des rectifications. Pourtant, on est déjà loin de la politique qui visait à doter le pays de quelques prototypes, en matière de mise en valeur, tandis que le pays stagnait : ainsi le programme de Wadi Kiam (Wadi Caam), près de Misourâta, fortement financé par les Américains : lotissement de type classique, nécessitant de coûteux pompages, « bonne œuvre » finalement de peu de portée et qui a peu intéressé les bénéficiaires eux-mêmes [48].
55La hâte n’est pas moindre en matière industrielle. Les quelques petites entreprises existant précédemment, et d’une manière générale l’artisanat, sont condamnés de la même manière que le sont tous les genres de vie et les activités traditionnelles. Par contre, 20 % des crédits inscrits au plan triennal portent ou porteront sur des équipements industriels. Pour la réalisation des projets, deux organismes nouveaux ont été crées : l’I.R.C. (Industrial Research Center) pour la réalisation des études, organisme autonome fonctionnant sous la tutelle du ministère de l’Industrie et le G.O.F.I. (General Organisation for Industrialisation) qui est à proprement parler l’instrument de réalisation du Plan. Toutefois, il ne s’ensuit pas une étatisation complète du secteur industriel : comme pour l’agriculture, le secteur privé est également encouragé par une politique de prêts très généreuse.
56Certaines réalisations relèvent plutôt d’une mise à l’échelle de productions antérieures : c’est ainsi que les cimenteries, à Khoms et à Benghazi, verront augmenter leur capacité. De même, des centrales électriques d’une puissance accrue sont en cours d’installation, en particulier à Misourâta, à l’intérieur d’un grand complexe industriel, et à Tripoli où Alsthom est en train d’installer cinq groupes de 50 mégatonnes. En même temps sont prévues de nombreuses installations de dessalement de l’eau de mer dont deux sont déjà en fonctionnement. Enfin, est prévu le développement d’industries diversifiées, assurant l’autonomie du pays en matière de produits de consommation (vêtements, chaussures, tanneries) ou d’équipement (câblerie, tubes, verrerie).
57Toutefois, selon un schéma bien connu dans divers pays sous-developpés disposant de matières premières, c’est sur la pétrochimie et sur la sidérurgie que porte l’effort principal.
58Une raffinerie de pétrole importante fonctionne déjà à Zouwâra, sur la côte, à l’ouest de Tripoli : elle est surtout destinée à satisfaire la consommation intérieure. Sa capacité sera doublée, bien que le pipe qui devait l’approvisionner en brut soit resté à l’état de projet, en raison des conditions difficiles d’exploitation des gisements de la Tripolitaine occidentale et de leur faible débit. C’est sur la côte du golfe de Syrte, à Syrte et à Marsa Brega, que seront implantées les plus grosses usines : liquéfaction des gaz de récupération, fabrication d’ammoniaque et de méthanol. Une autre raffinerie, d’une capacité de 11 millions de tonnes, est en cours d’installation à Zouwaytina, au sud de Benghazi. Enfin le débouché du pipe de Serir, à Tobrouk, sera également marqué par une grande raffinerie de 12 millions de tonnes.
59Quant au projet de la sidérurgie, il repose sur l’exploitation des minerais de Wadi Chatti, dans le Fezzan, actuellement prospectés par une société française. Le minerai, préalablement concentré sera acheminé par voie ferrée à Misourata, où fonctionnera une aciérie, prévue pour une production de 400 000 tonnes par an, par réduction directe du minerai par le gaz ; une autre usine, d’une capacité de 2 500 000 tonnes est également prévue, celle-ci fonctionnant avec des hauts fourneaux de type classique. Un port en eau profonde complètera l’ensemble.
60Ainsi la Libye, puissance économique hier encore négligeable, est-elle en passe de se classer dans un rang parmi les pays de la rive méridionale de la Méditerranée, par rapport à la Tunisie, bien sûr, mais même par rapport à l’Égypte si celle-ci, dont l’équipement actuel est loin d’être négligeable, devait être amenée à consacrer une part importante de ses ressources à son effort militaire ; et puis l’Égypte n’a pas de pétrole en abondance comme la Libye, ce qui la rend beaucoup plus dépendante. Or, c’est précisément l’auto-suffisance qui est le but de la politique économique libyenne : la Libye, quoique miraculeusement pourvue d’énergie, n’aurait jamais entrepris une rénovation de cette ampleur, s’il n’y avait eu la volonté bien arrêtée de son gouvernement d’arriver aussi rapidement que possible à son autonomie économique, complément nécessaire et garantie de son indépendance politique.
NOTES DE FIN
* Professeur à l’École Pratique des Hautes Études, Paris.