Répugnante hypocrisie de la communauté internationale. Il aura fallu un reportage de CNN diffusé mi-novembre dernier pour que « la conscience universelle » s’émeuve finalement de l’esclavagisme sévissant en Libye. Comme si personne n’était au courant auparavant. Comme si le Grand Prix Carmignac du photojournalisme, décerné en 2016 au photographe mexicain Narciso Contreras, également lauréat du Prix Pulitzer, révélant la réalité sordide en Libye, n’avait pas déjà alerté l’opinion publique. L’exposition à Paris, au siège de la Fondation Carmignac en novembre 2016, et l’album photo publié à cette occasion, déjà effarant, avaient bien été médiatisés. Mais, ce n’est que fin novembre que se déclenche l’indignation populaire…
Ce n’est que le 20 novembre dernier que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’en déclare «horrifié». Son représentant spécial pour la Libye, Dr Ghassan Salamé, avait bien tiré la sonnette d’alarme, depuis septembre dernier, et sur plus d’un danger et plus d’un crime contre l’humanité.
La noyade au bout du rêve
La traite des êtres humains prend en otage des centaines de milliers de ressortissants de pays sub-sahariens qui rêvent d’émigrer en Europe. Dépouillés de leurs pécules, ils sont soit acheminés vers les marchés aux esclaves, soit asservis dans les fermes, soit – pour les plus riches – embarqués sur des felouques de la mort vers un destin beaucoup plus sanctionné par la noyade que réussi par l’arrivée sur l’autre rive. Pour se donner bonne conscience, des pays occidentaux ont aménagé des « centres d’accueil » où des dizaines de milliers d’émigrants sont parqués en attendant leur rapatriement chez eux.
Des prisons… privées
L’horrible esclavagisme n’est pas l’unique drame humain en Libye. Les prisons privées dirigées par les milices et échappant à tout contrôle de l’Etat constituent une violation très grave des droits humains. Déjà, dans les prisons sous contrôle du gouvernement d’union nationale, les conditions de détentions sont loin de respecter la dignité humaine. Que dire de celles hors la loi. Personne ne sait exactement qui y est incarcéré, pour quel motif, par quel jugement, qui a prononcé la sentence et pour quelle durée. La loi des milices ouvre la voie aux exactions, au chantage et à l’esclavagisme.
La famine qui pointe
Les émigrants venus du Sahara ne sont pas les seules victimes en danger en Libye. Les Libyens eux-mêmes subissent de plein fouet l’érosion de leur pouvoir d’achat et pour de larges franges, le manque de produits alimentaires. En plus de la dégradation de la situation sanitaire et la propagation des endémies. L’aide humanitaire et sanitaire s’impose désormais en grande urgence. Quelle contradiction : un pays pétrolier qui produit pas moins de 1.6 million de barils par jour et qui était jadis l’un des grands donateurs de l’aide publique à des dizaines de pays d’Afrique et d’autres continents se trouve aujourd’hui dans l’obligation de nécessiter l’aide alimentaire de l’ONU.
Vivre en Libye, c’est tenter d’y survivre
Pas moins de 25% de la population en Libye souffre aujourd’hui d’une forte crise alimentaire, comme l’a souligné Dr Ghassan Salamé à Leaders. De son côté, le prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, en visite en Libye le 10 octobre dernier (via Tunis), en avait évalué l’ampleur.
Les conditions sanitaires sont des plus déplorables, comme l’avait confié Dr Salamé dans son interview à Leaders (N°78 – novembre 2017). Hôpitaux, centres de dialyse, laboratoires d’analyses biologiques, cabinets de radiologie et autres centres de soins sont tombés en désuétude. Quant aux médicaments, introuvables, ils relèvent du rêve espéré. Vivre en Libye, c’est tenter d’y survivre.
L’OMS, qui essaye d’apporter autant qu’elle peut son assistance à la Libye, se trouve menacée par l’insécurité et la violence. Le 20 novembre dernier, son directeur de projet à Sabha a été kidnappé. Le grand risque, c’est une catastrophe sanitaire annoncée. Dans son rapport au Conseil de sécurité présenté le 16 novembre à New York, Dr Ghassan Salamé a exprimé toutes ses craintes de voir se propager des endémies difficiles à endiguer.
Agir devient une urgence
Traite des êtres humains jusqu’à l’esclavagisme en ce XXIe siècle, famine menaçante, épidémies à forte propagation, prisons privées et autres violations, se taire, c’est se rendre complice. Se défausser sur les Nations unies, c’est pour se soulager la conscience. Agir devient une urgence.