Pierre Mendiharat, de Médecins sans frontières, revient sur le travail «particulièrement complexe» de l’ONG en Libye.
«En Libye, il y a une porosité entre les centres de détention officiels et les prisons clandestines»
Directeur adjoint des opérations de Médecins sans frontières, Pierre Mendiharat est de retour d’une visite en Libye, où l’ONG intervient notamment pour offrir des soins aux migrants subsahariens en quête de travail ou d’un passage vers l’Europe.
Où peut travailler MSF, dans un pays comme la Libye ?
C’est un terrain particulièrement complexe pour nous, à cause de l’extrême fragmentation du conflit. Chaque région, chaque ville, parfois chaque quartier, requiert une négociation avec une milice ou une autorité en place. Il n’existe pas, en Libye, de vaste camp de réfugiés ou de déplacés. Nous avons une opération en cours à Benghazi, où nous travaillons avec les habitants qui ont été chassés de chez eux par les combats et les destructions, et deux autres à Misrata et Beni Walid, à destination des migrants. MSF a aussi une mission à Tripoli. Dans les centres de détention officiels de Misrata et Khoms, sur la côte, nous pouvons mener des consultations externes. A Beni Walid, l’un des principaux hubs de kidnapping et d’extorsion, nous intervenons ponctuellement dans le local refuge d’Al-Salam, une association qui s’était initialement constituée pour offrir des sépultures aux migrants et qui procède à plusieurs dizaines d’enterrements chaque mois. Des cellules de l’Etat islamique échappées de Syrte [où l’organisation jihadiste a été défaite en décembre 2016, ndlr] sont actives dans la zone, ce qui complique notre action.
Dans les centres que vous avez visités, quelles sont les conditions de détention ?
En Libye, tout étranger dénué de visa est passible de prison. Les centres de détention, ce sont souvent des centaines de personnes entassées dans un hangar. Une fois par jour, on leur donne un plat de pâtes. L’accès aux sanitaires est catastrophique. Or ce sont les lieux officiels, alors imaginez les prisons clandestines… Surtout, il y a une certaine porosité entre les deux. Il arrive que les migrants soient revendus aux passeurs. La journée, les ONG ont désormais accès à la plupart des centres officiels, mais la nuit, ils deviennent une zone de non-droit. Devant leurs geôliers, les migrants n’osent jamais témoigner. Mais sur les bateaux de SOS Méditerranée [MSF participe aux opérations de sauvetage en mer des migrants qui tentent de rejoindre l’Europe depuis la Libye, ndlr], ils racontent leur calvaire. En France, dans la Maison pour jeunes de Pantin [la structure pour aider les mineurs étrangers isolés a été ouverte en Seine-Saint-Denis par l’ONG en décembre], 50% des réfugiés disent avoir subi des tortures en Libye.
Les «opérations d’évacuation d’urgence» annoncées par Emmanuel Macron lors du sommet UE-Afrique d’Abidjan en novembre ont-elles changé les choses sur le terrain ?
Le plan de rapatriement de l’Office international pour les migrations (OIM) a eu un impact. L’OIM a fait sortir beaucoup de monde de Libye. Environ 8000 personnes sont rentrées dans leur pays d’origine en décembre-janvier, soit autant que sur l’ensemble des dix premiers mois de l’année passée. Mais il est difficile d’en tirer des conclusions sur le sort des migrants. Il y a également davantage d’interceptions de bateaux en Méditerranée. MSF a assisté à deux interceptions par les garde-côtes libyens dans les eaux internationales [où ils ne sont pas censés intervenir] à 30 et 34 milles de la côte. Les migrants sont renvoyés dans les camps de détention, et finissent souvent à nouveau aux mains des passeurs. Pour certains, les tortures recommencent. Elles sont parfois filmées car elles servent à extorquer de l’argent aux familles. Or l’Union européenne, et en particulier l’Italie, apportent leur aide à ces garde-côtes.